Au dessus se trouve l'emplacement réservé aux cloches. Quatre belles cloches sortant de la fonderie de Monsieur Bollée d'Orléans , ayant été installé le 23 août 1860 par les soins de Monsieur le Curé Pény . Depuis longtemps déjà ce digne pasteur avait conçu le projet de bâtir la paroisse d'une sonnerie en rapport avec son importante et avec le beau Clocher de l'ancienne Église Saint Jean . Il fit part de ce projet à son conseil de fabrique (Conseil de fabrique de la paroisse de Notre Dame de Sancerre) qui entre complètement dans ses vues et l'autorisa à traiter avec le fondeur (fondeur de cloches) Monsieur Bollée. Celui-ci s'était entendu avec Monsieur Pény , se mit immédiatement à l’œuvre et les nouvelles cloches furent fondues en présence de ce dernier qui avait tenu à bénir lui même la fusion. Elles furent amenées d'Orléans à Sancerre par les voitures de sieur Frédéric Boulay , messager, qui faisait le service entre ces deux villes, le jeudi 23 août vers 4 à 5 heures du soir. Une foule considérables stationnent sur la place en attendant leur arrivée et lorsque la première voiture apparut au Carroir de Velours et déboucha devant l'église, une immense acclamation s'échappa du sein de cette foule. Les cloches furent déposées au pied du Clocher , coucher sur le côté, en attendant leur entrée dans l'église. (2)
La bénédiction ayant été fixée au mardi 28 août, les cinq jours qui restaient à couvrir furent employés à les monter jusque dans le chœur de l'église où elles furent suspendues après une poutre énorme posée là pour la circonstance. (3)
Le lundi soir 27 août, Monseigneur Menjaud , Archevêque de Bourges , premier aumônier de l'Empereur Napoléon III , arrivait à Sancerre pour procéder à cette bénédiction. (4)
Monsieur Bonnet , Maire de Sancerre, ses adjoints messieurs Sifflet , Cassier , Alaberte , Messieurs les membres du Conseil Municipal et les fonctionnaires publics, sous l'escorte de la compagnie de sapeurs pompiers, le capitaine (capitaine de sapeurs pompiers) Martinat en tête, s'étaient rendus {Bonnin page : 60} dès 6 heures du soir, au bas de la Place Saint André , sur le rempart, pour recevoir sa grandeur. (5)
Un peu avant sept heures, un coup de canon annonça la voiture qui s'avançait au grand trot de deux beaux chevaux noirs. Trois gendarmes à cheval ouvraient la marche et neuf suivaient la voiture. Monsieur le Vicomte de Bardonnet , Sous-Préfet de Sancerre accompagnant aussi à cheval, il se tenait à la portière de droite, Monsieur le lieutenant de gendarmerie Perdereau , se tenait à la portière de gauche. (6)
A la Croix Saint Ladre le cortège modéra sa course et au milieu d'une foule compacte, respectueuse et recueillie, s'avança au pas dans la direction de la ville. (7)
Des salves d'artillerie continuèrent jusqu'au moment où, à quelques pas des autorités sa grandeur appuyée sur le bras de Monsieur le Sous-Préfet , mit pied à terre et s'avança à la rencontre de monsieur le Maire de Sancerre. (8)
A ce moment les populations de Sancerre et des communes voisines couvraient la route et les côtés du rempart et étreignaient le cortège. (9)
Monsieur Bonnet maire de Sancerre, fit de son côté quelques pas en avant et d'une voix profondément émue, il prononça le discours suivant : (10)
« Monseigneur (11)
C'est toujours avec un nouveau bonheur que la population catholique de Sancerre reçoit dans son sain son premier pasteur. (12)
Le bonheur je viens vous l'exprimer au milieu du conseil municipal et des autorités de notre ville. (13)
Cette foule si nombreuse qui se presse sur vos pas, vous prouve que le sentiment religieux, le sentiment catholique, si profondément remué à m'approche d'une solennité à laquelle votre grandeur va prêter un vif et saint éclat, n'a pas vieilli chez elle, qui le temps ne l'a pas affaibli, quelles que soient les épreuves qu'il plaise à Dieu d'envoyer à leur église. (14)
Ces épreuves l'église en triomphera parce qu'elle a pour elle les divines promesses, les prières de ses enfants et la chrétienne volonté de l'Empereur. (15)
Nous nous abandonnons donc avec confiance et sans crainte pour l'avenir, à la joie de vous posséder. (16)
Votre présence, Monseigneur, adoucira les regrets que nous a laissée la perte d'un autre pasteur justement vénéré. Sa place vous est assurée dans nos cœurs, car nous savons depuis longtemps combien vos vertus et votre bonté nous en rendent digne. (17)
Soyez donc le bienvenu au milieu de vos enfants de Sancerre et daignez agréer l'hommage de leur profond respect et celui de leur piété filiale, » (18)
Un murmure flatteur témoigna à Monsieur Bonnet combien en rendait hommage aux nobles sentiments qu'il avait su si bien exprimer. (19)
Monseigneur Menjaud répondit en quelques mots et à voix basse, il exprima à Monsieur Bonnet .{Bonnin page : 61} toute la satisfaction qu'il éprouvait de l'accueil si sympathique qui lui était fait et termina en disant que ce qui se passait sous ses yeux comme aussi les paroles qu'il venait d'entendre, lui prouvait, qu'il se trouvait au milieu d'une population chrétienne dévoué à ses devoirs, à sa religion, à son Dieu, et qu'il rencontrait à la tête de cette population un homme qui avait du accomplir ses devoirs à lui dans toute leur étendue avec une intelligence supérieure, avec une conviction de principes au dessus de tout éloge. (20)
Monsieur le Vicomte de Bardonnet pria alors sa grandeur de remonter dans sa voiture pour traverser la distance qui le séparait encore de la Porte César où se trouvait le clergé, mais Monseigneur résista à ces instances, il se fit donner une canne légère et placé entre le Sous-Préfet et le Maire, il s'avança marchait avec la plus grande facilité et faisait même accélérer le pas qu'on avait ralenti à cause de lui. (21)
Quoique l'heure fut un peu avancée, la magnificence du tableau qui se déroule et approchant de la Porte César frappa le digne prélat qui ne put s'empêcher de laisser éclater son admiration. En ce moment, un coup de canon retentit et le clergé de Sancerre augmenté d'un grand nombre de Prêtres venus des paroisses voisines et même des cantons voisins, Monsieur le Curé de Sancerre en tête, se présenta devant Monseigneur l'Archevêque métropolitain . (22)
Monseigneur Menjaud se plaça sous le dais et le cortège se rendit processionnellement à l’Église en chantant le « Te Deum ». (23)
A l'entrée de l’Église le cortège s'arrêta et en peu de mots, mais aura avec grande élévation de sentiments Monsieur le Curé Pény exprima à sa grandeur toute se reconnaissance pour l'honneur qu'elle daignait faire à sa paroisse en consentant à bénir les cloches. Il paraphrasa avec une délicatesse extrême en l'appliquant au digne Préfet la bénédiction qui remit in nomine domini et termina en disant qu'il était heureux en lui présentant messieurs les curés de son canton de mettre en sa présence des hommes d'un mérité réel, sérieux, dévoués à leurs devoirs et sachant faire aimer et pratiquer la religion. Monsieur le curé termina son allocution en prononçant ces paroles : « Je vous demanderai, Monseigneur, de bénir les habitants de cette ville, oui, Monseigneur, tous, sans en excepter un seul » (24)
L'Archevêque répondit en quelques mots et s'exprima à peu prés dans ces termes : « je savais, mon cher Monsieur le Curé, en venant ici, que je serai accueilli par une population animée de la foi la plus vive, mais l'accueil que je reçois de ce troupeau confié à votre vigilance et à votre sollicitude, dépasse toutes mes prévisions et j'éprouve en ce jour une des plus douces émotions que j'ai ressentie dans ma vie. Comptez bien cher Curé sur ma tendre sollicitude pour vous et pour le troupeau confié à vos soins si ardents, je n'associerai à tous vos travaux, j'unirai mes efforts aux vôtres, mes prières aux vôtres, et j'ai l'espoir que Dieu répondra ses grâces les plus abondantes sur cette famille dont vous êtes le père, je lui demanderai de bénir tous les habitants de cette ville et le bon curé de Sancerre. (25)
Puis Monseigneur précédé par le clergé entre dans le chœur où prirent place Monsieur le {Bonnin page : 62} Sous-Préfet , la municipalité et les fonctionnaires publics. (26)
Après la bénédiction, sa grandeur fut reconduite au presbytère. (27)
Ainsi que je l'ai dit déjà, les quatre cloches étaient suspendues dans le chœur à une forte poutre dissimulée sous un épais feuillage semé de roses. Elles étaient surmontés des écussons de Monseigneur Menjaud des parrains et marraines, de la statue de la Sainte Vierge , et de quatre magnifiques chandeliers dorés d'un mètre de hauteur. Au dessus se trouvait une admirable lampe en bronze doré offerte à l'occasion de la fête par Monsieur le Comte et Madame la Comtesse de Montalinet , propriétaire du château de la Grange près de Saint Bouize . (28)
Rentré à la Cure , sa grandeur excepta une légère collation pendant laquelle elle témoigna à Monsieur le Sous-Préfet , Monsieur le Maire et à Monsieur le Curé toute la satisfaction qu'elle éprouvait, combien elle était heureuse et touchée de l'accueil qu'elle venait de recevoir. Elle répéta à plusieurs reprise : « Mais je n'ai vu que de bons visages dans votre pays !» (29)
Le lendemain matin, des quatre heures, Monsieur le Curé de Sancerre célébrait sa messe ; à huit heures les places réservés de l'église se remplissaient et à neuf heures et demie l'accès devient libre aux fidèles accourus de tous cotés pour assister à la fête. (30)
A dix heures précises Monseigneur se rendit à l'église processionnellement, escorté par tout le clergé, par les parrains et marraines, entourés des sapeurs pompiers formant la haie et la messes commença aussitôt. (31)
Pendant tout l'office, un chœur composé de près de 60 voix fut entendre différents morceaux des grands maîtres Haydn , Mozard , Mendelsohn . L'exécution fut des plus satisfaisantes, grâce à l'habile direction de Monsieur Sifflet , adjoint au Maire, musicien d'une grande valeur et de Monsieur l'Abbé Elie Protat , Brultet maître de chapelle de la Cathédrale de Bourges , originaire de Sancerre, qui n'avait pas voulu laisser passer cette belle fête sans venir y prendre part. (32)
Après la messe, Monsieur Marandon , chanoine , remplissant en ce moment auprès du Prélat les fonctions de grand vicaire , prononça une allocution qui fut très remarquée. (33)
La bénédiction des cloches a ensuite commencé. (34)
La plus grande, du poids de mille huit cent soixante dix kilogrammes et portant le nom de Françoise – Géraldine eut pour parrain Monsieur le Duc d'Uzès et pour marraine Madame la Duchesse d'Uzès (Françoise de Talhouët Duchesse d’Uzès), propriétaire de la terre de Sancerre. (35)
La seconde du poids de mille deux cent soixante dix sept kilogrammes, portant les noms de « Marie Clémentine Camille », eut pour parrain et marraine Monsieur le Comte Camille Bachasson de Montalivet , ancien intendant général de la liste civile de Louis Philippe 1er et ancien ministre de l'intérieur, propriétaire du Château de la Grange et Madame la Contesse de Montalivet née Clémentine Paillard Ducléré. (36)
La troisième nommée « Pauline Henriette » et pesant neuf cent trois kilogrammes eut pour parrain et marraine Monsieur le Vicomte Alexandre Camille Arthur de Bardonnet {Bonnin page : 63} Sous-Préfet de Sancerre et propriétaire du Château de l'Estang et Madame la Vicomtesse de Bardonnet , née Pauline Henriette Hyde de Neuville . (37)
La quatrième nommée « Gabrielle », du poids de sept cent trente six kilogrammes eut pour parrain Monsieur Pierre Alexandre Bonnet , docteur en médecine et Maire de Sancerre et pour marraine Madame Pauline Rouger épouse de Monsieur Gabriel Frédéric Guillaume Désiré Morot , Président du tribunal de Sancerre. (38)
A cette occasion Monsieur le Duc et Madame la Duchesse d'Uzès (Françoise de Talhouët Duchesse d’Uzès) offrirent à l'église un ornement complet or et blanc, comprenant la chasuble , les accessoires et trois chapes . Monsieur le Comte et Madame la Comtesse de Montalivet , outre la belle lampe dont j'ai parlé à la page précédente, remirent à Monsieur le Curé une aube merveilleusement brodée et une très belle écharpe du Saint Sacrement en satin blanc bradé d'or. (39)
Monsieur le Vicomte (Alexandre Camille Arthur Vicomte de Bardonnet) et Madame la Vicomtesse de Bardonnet revêtirent Pauline Henriette leur filleule de toiles de la plus grande finesse et drapèrent sur ces toiles une magnifique nappe d'autel soie et or, semblable à l'écharpe offerte par Monsieur le Comte et Madame la Comtesse de Mautalivet. (40)
Monsieur le Maire de Sancerre offrit à l'église un charmant bénitier en cuivre doré d'une forme parfaite. Madame Morot para « Gabrielle » d'une charmante robe de tulle bordé et versa dans les mains de Monsieur le Curé un don en argent très important. (41)
Après la bénédiction des cloches, bien qu'il fut extrêmement fatigué, Monseigneur voulut exprimer lui même à l'assistance qui se pressait dans l'église toute sa satisfaction. Il se retira ensuite à la Cure . (42)
A deux heures de l'après midi, Monsieur le Curé de Sancerre, dans une salle créée exprès pour la circonstance sur le Petit Jardin de la Cure , réunit dans un somptueux déjeuner de cinquante deux couverts les parrains, les marraines, le clergé, les notabilités de la ville et celles des environs. Derrière l'Archevêque et les parrains et marraines se trouvaient les écussons qui décoraient les cloches pendant la cérémonie. Vers la fin du repas, Monsieur le Curé Pény fit offrir à chaque invité une charmante boite de dragées sur laquelle était représentée une cloche avec cet exergue : « Bénédiction des Cloches de Sancerre. Août 1860 » (43)
Vers six heures du soir, la voiture de Monseigneur était à la porte de la Cure . Mais le vénérable Archevêque voulut parcourir de nouveau à pied, le trajet qu'il avait suivi la veille. Il se dirigea donc accompagné de Monsieur le Sous-Préfet , de Monsieur le Marie et de Monsieur le Curé vers l'Esplanade de la Porte César . L'affluence était immense dans les rues et sur les promenades car les efforts des agents de police furent impuissants pour contenir la foule qui accompagna Monseigneur jusqu'au rond point de la Croix Saint Ladre . (44)
Pendant le trajet des mères apportaient leurs enfants que Monseigneur Menjaud bénissait avec bonheur. Entraînées par l'exemple, par l'affabilité du prélat, par la foi naturelle qu' existe au fond de tous les cœurs, des mères protestantes vinrent déposer leurs enfants au pied d'un vénérable Archevêque . Une personne placée dans la foule ayant dit lors d'une de ces présentations : (45)
{Bonnin page : 64} (46)
« Monseigneur, c'est un enfant protestant ! » « N'importe », répondit-il. « Je lui donne de bon cœur ma bénédiction. La bénédiction d'un vieillard porte toujours bonheur ». (47)
Parvenu à la Croix Saint Ladre , Monseigneur, avant de monter en voiture, exprime encore combien il était touché de l'accueil qu'il avait reçu. Combien il espérait d'une population que la foi seule avait pu conduire sur ses pas et se tournant vers Monsieur le Curé Pény et lui dit : « Non, Monsieur le Curé, ce n'est pas un vieillard que le prestige du luxe n'entoure pas, qui n'a rien pour frapper les regards et attirer la foule, ce n'est pas un vieillard qui a pu grouper la multitude qui nous entoure. Au fond des cœurs des habitants de Sancerre, il y a un principe, il y a l'amour de Dieu. C'est à ce principe, à cet amour qu'ils obéissent en venant se presser sur les pas d'un humble ministre de la religion. Honneur à une aussi bonne population ! Gloire au digne pasteur, qui a la paix intérieure sa voix et former les cœurs au bien, gloire à lui ! Il recueille aujourd'hui le prix de ses efforts, la moisson qu'il a semée dans un terrain où elle a fructifié ! » (48)
Après avoir donné une accolade paternelle à Monsieur le Curé de Sancerre, fait baiser son anneau à Monsieur le Sous-Préfet , à Monsieur le Maire et à quelques autres personnes, Monseigneur monta dans sa voiture et partit pour Jars . (49)
La foule qui avait accompagné l'Archevêque ne voulait pas quitter son pasteur et le laisser regagner seul son presbytère. Personne ne voulut se séparer de lui, témoignage solennel rendu aux qualités si éminentes de ce digne prêche. (50)
Les quatre cloches ont coûté à la fabrique la somme de 20723,50 francs, (51)
Les réparations nécessités au Clocher , par la pose, se sont élevées à 1200 francs (52)
La dépense fut donc de 21923,50 francs (53)
Pour couvrir cette dépense, Monsieur le Curé a ouvert une souscription qui produit la sonne de 4226,79 francs, (54)
Une quête faite à l'église s'éleva à 287 francs (55)
La commune fournit 1000 francs (56)
Enfin notre pauvre vieille cloche qui fut regrettée de tout le monde fut revendue au fondeur (fondeur de cloches) pour 1789,50 francs, (57)
Total : 7303,29 francs. (58)
Déduisant cette somme de la dépense totale : 21923,50 francs (59)
On voit que le surplus : 14620,29 francs (60)
reste à la charge de la fabrique (Conseil de fabrique de la paroisse de Notre Dame de Sancerre), qui le paya par acomptes en sept années, le solde ayant été acté le 15 avril 1867. (61)
Le récit de la bénédiction de nos cloches, m'a entraîné bien loin du Clocher que j'étais en train de décrire. Je me hâte d'y rentrer. (62)